Inscrire le passé dans la matière du présent

Israel Tanzondo

7/5/20253 min read

À propos

Je m’appelle Israël Tanzondo. Je suis étudiant dans le domaine des arts plastiques , dessinateur réaliste et peintre. À travers ma pratique du dessin en particulier , je cherche à inscrire le passé dans la matière du présent : à faire ressurgir par le dessin, des fragments de mémoire que la photographie a figés.   Ce blog est un espace d'exploration. J’y partage mes réflexions artistiques, mes projets de recherche, mes œuvres, mais aussi mes doutes, mes lectures, mes gestes. Le trait du dessin n’est pas un outil de copie : c’est un outil de mémoire, de révélation, de présence, qui incarne une valeur sémantique .

Dans un monde où l'image numérique prolifère, saturant nos regards jusqu'à l'indifférence, j’ai ressenti la nécessité profonde de revenir à la lenteur silencieuse et incarnée du dessin. Il ne s'agit pas d'un acte graphique conçu comme une simple duplication mécanique du visible, mais celui qui, par un geste patient et sensible, réinterprète, questionne, et ressuscite ce que le temps a éteint.

La photographie, dans son automatisme rigide, capture l'instant avec la brutalité d’une saisie irréversible. Elle est un témoignage froid d’un passé figé, une empreinte du « ça-a-été » chez Roland Barthes. Le dessin réaliste, au contraire, offre une autre temporalité : celle d'une lente révélation, d'une apparition progressive et mouvante. Ma main, guidée par le graphite, le fusain et la poudre de matière sombre, ne cherche pas la reproduction exacte; mais la résurgence fragile et vivante d’un souvenir ,enfoui.

Mes œuvres sont des présences incomplètes, troublantes dans leur inachèvement, laissant volontairement place à l'incertitude et au flou. Les visages qui apparaissent sur le papier ne sont pas de simples portraits : ce sont des apparitions, des spectres doux qui émergent d'un brouillard matériel, porteurs d'une mémoire fragmentée. Le trait hésite, revient, s’estompe, laissant l'image palpiter entre absence et présence. C’est précisément dans cet intervalle que se manifeste l'essence profonde du souvenir : jamais définitif, toujours partiel, infiniment vivant. Le mouvement , porte ici , une charge sémantique , celle de faire exister une illusion d'optique , qui permet au passé de s'activer . Ces dessins , que l'on pourrait qualifier d' images graphiques , véhiculent un discours sensible . Leur matérialité sont un langage qui nous invite à penser le dessin , comme un dispositif mnésique , un lieu de culte où la mémoire se joint à une présence incarnée .

La dimension philosophique de ma démarche puise sa force chez plusieurs penseurs majeurs. Roland Barthes ,éclaire mon geste avec son concept du ça-a-été photographique, rappelant la poignante mélancolie de ce qui fut et n’est plus. Maurice Merleau-Ponty ,m'accompagne dans l'exploration sensible du monde par la corporéité du regard, dessiner ,c'est ressentir profondément la présence charnelle de ce que l’on observe. Jacques Derrida, avec sa "mémoire d’aveugle", révèle la condition paradoxale du dessinateur : celui qui trace en se souvenant, plus qu’en regardant. Jean-Luc Nancy et Emmanuel Levinas, me rappellent enfin que le visage dessiné est toujours un lieu d’altérité, où l'absence murmure encore une présence fugitive. La philosophie japonaise du wabi-sabi, quant à elle, nourrit mon acceptation esthétique de l’imperfection et du transitoire, honorant ainsi la beauté fragile de ce qui échappe à la complétude.

En somme, mes dessins sont une tentative poétique de réactiver ce que la photographie a laissé inerte. Ils ne fixent pas l'instant : ils le font revenir doucement à la vie. Ils ne représentent pas simplement des visages : ils leur donnent une voix muette pour prononcer leur propre absence. Ainsi, le dessin réaliste devient dispositif philosophique et poétique de résurgence, un espace vivant où le passé continue de frémir, de vibrer et de respirer dans la matière même du présent.